Carole, Joëlle, Claude, Cindy, Jean-Christophe… s’activent derrière les bassines de confiture. Pierre-Olivier, Hélène, Ludovic… découpent les jambons. Ils sont travailleurs handicapés et s’attèlent consciencieusement à la tâche dans cet ESAT qui fabrique artisanalement des produits « bio ». L’objectif est de dépasser l’handicap pour produire des préparations de qualité.
Les établissements et service d’aide par le travail (ESAT) ont remplacé les anciens CAT qui avaient mauvaise réputation. Ce sont des organismes médico-sociaux qui permettent à des travailleurs handicapés un accompagnement afin d’exercer un métier qu’ils ne pourraient pas pratiquer dans un autre cadre. Cet accompagnement se fait dans le cadre d’un projet de vie qui peut, dans certains cas, amener le travailleur handicapé à trouver une place dans un environnement conventionnel.
La Ferme de la Guye est issue d’une association qui existe depuis plus de 20 ans : l’association de parents d’enfants inadaptés. La section départementale de l’APEI est financée par la DDASS et le Conseil général de Saône et Loire. La Ferme fut créée sous la forme d’un CAT en campagne en 2000, avec d’emblée la volonté de transformer des produits « bio » (issus de l’agriculture biologique). C’est devenu un ESAT en 2005.
L’établissement prend particulièrement en charge les handicaps suivant : déficience intellectuelle, maladies psychiques, trisomie…
La Ferme de la Guye est aussi un lieu de formation médico-sociale ou agro-alimentaire : stagiaires IRTESS, élèves ingénieurs de l’ENESAD…
La Ferme a connu une période difficile jusqu’en 2005 du fait d’être trop axée sur la vente directe dans une zone où la consommation de produits bio n’était pas suffisante. La nécessité de mettre en place un circuit commercial a posé d’importants problèmes de trésorerie et a provoqué un déficit qui a atteint 50 000 euros. En 2008, le magasin de la Ferme ne représente plus que 5% des ventes et l’établissement est rentable.
L’ESAT compte aujourd’hui (septembre 2009) 50 travailleurs de 20 à 45 ans pour une moyenne d’âge de 30 ans. Il emploie aussi 9 moniteurs dont 2 stagiaires, 2 secrétaires (soit un équivalent temps plein) et un directeur technique. C’est celui-ci, Serge Cordier, qui nous fait visiter l’établissement (qui est, à ce jour, en recherche d’un nouveau directeur général).
En 2008, le chiffre d’affaires de l’ESAT est de plus de 300 000 euros. Il se réparti équitablement entre les trois secteurs d’activités de l’établissement : les travaux à façon en espaces verts (le secteur le plus rentable), la production de charcuteries, la production de confitures. Le bénéfice de 10 000 euros a été reversé aux travailleurs, sous la forme de chèques « Tirs groupés ».
Depuis 2004, l’activité de l’ESAT a progressé de 80% (tous secteurs confondus). 50 000 pots de confiture sont produits et 10 tonnes en charcuterie. La gamme alimentaire comporte 50 références mais les dix meilleures ventes restent les mêmes (par exemple : la confiture de framboises épépinées). À noter d’autres produits : pâté en croûte, saucisson, terrine de porc au cassis…
L’activité devrait continuer de croître, soutenue par les décisions du Grenelle de l’Environnement concernant l’approvisionnement des cantines en produits bio des cantines mais aussi du fait de futures augmentations de la taxe imposée aux entreprises n’employant que peu de personnes handicapées. La conséquence de ce dernier point sera sans doute qu’il y aura de plus en plus de sociétés qui sous-traiteront une partie de leur production à un ESAT.
Pour revenir sur la « taxe AGEFIPH » (loi du 10 juillet 1987, réactualisée par la loi du 11 février 2005) : elle est due par les entreprises de plus de 20 salariés qui n’emploient que moins 6% de travailleurs handicapés dans leur effectif salarié. À ce jour la taxe varie de 400 à 600 fois le SMIC horaire par travailleur manquant (selon la taille de la société). Cela peut donc représenter plusieurs milliers d’euros. D’ici 2010, cette contribution financière passera à 1 500 fois le SMIC horaire.
Serge Cordier nous parle avec enthousiasme et fierté des travailleurs de la ferme et de leur production. L’objectif principal étant pour lui de faire plaisir au client. Bien sûr, il s’agit aussi de valoriser le travail réalisé dans l’ESAT.
Les ventes sont là pour prouver le succès du redressement de la Ferme de la Guye et la faible quantité de retours finit de l’attester. Sur l’ensemble des pots de confitures distribués annuellement, les retours se chiffrent généralement à une dizaine d’unités. C’est sans doute dû au fait que la fabrication se fait toute l’année, les pots commercialisés sont donc très frais (moins d’un mois la plupart du temps).
En ce qui concerne les confitures, Eflnat (Ardèche) fournit des fruits bio congelés et Pro Natura (Cavaillon) fournit des fruits exotiques. L’approvisionnement est aussi local avec un producteur du village (mirabelle, pomme, coings, cassis, cerises, griottes…) voire très local puisque la Ferme a son propre jardin (framboises, cassis).
Bien qu’il soit difficile de caler la fourniture par rapport à la production, les fruits ne restent pas plus d’un an dans le congélateur. À noter que celui-ci est constitué d’une idée astucieuse : un ancien container maritime réfrigéré reposant à présent dans un bâtiment de la ferme !
Les clients des confitures sont les épiceries bio de Bourgogne (et depuis peu certaines du Doubs ou de Rhône-Alpes), ainsi que des particuliers de France, Angleterre (du fait de Français installés à Londres) ou Suisse. La Ferme est sous-traitante de Légendes Gourmandes, une épicerie fin de Chalon sur Saône qui a sa propre marque et diffuse nationalement. On trouve aussi Eurodispal et Tour des Terroirs. Cette prestation représente près de la moitié de l’activité confiture de l’établissement.
Serge Cordier signale qu’il n’y a pas de course au rendement dans l’établissement, ce qui crée un cadre agréable pour les travailleurs de l’ESAT. Il ajoute que le rendement est moindre en charcuterie artisanale par rapport à de la charcuterie industrielle. La Ferme de la Guye n’utilise pas de polyphosphates qui gonflent artificiellement les jambons. Ici, un kilo de jambon donnera lieu à l’utilisation de 700 grammes en production. Industriellement, un kilo de jambon permet la mise en œuvre de 1,5 kg en production.
La Ferme de la Guye a donc les mêmes contraintes techniques que les charcuteries industrielles mais a une production de qualité gustative artisanale.
Heureusement qu’il n’est pas plus difficile de faire comprendre les règles en ESAT qu’en milieu ordinaire car la charcuterie est un métier très technique auquel s’ajoute ces contraintes en matière d’hygiène. En 2006, d’importantes modifications ont eu lieu dans les ateliers, notamment la « marche en avant » et l’installation de réfrigérateurs entrant/sortant.
Pour améliorer son suivi qualité, la Ferme fait appel à des conseils extérieurs, notamment à la société AgroActiv’.
Ecocert, pour la certification Agriculture Biologique, intervient deux fois par an et réalise aussi un audit.
Du côté des charcuteries, les fournisseurs sont Ercabio (en Bretagne) et Sicaba (Allier).
Merci à Serge Cordier pour son accueil et sa disponibilité.